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John TOLAND : un penseur libre


Les Origines

 

John TOLAND est né en 1670 à Derry en Irlande. Il est élevé dans une famille catholique traditionnelle qui lui prodiguera une solide formation aux mythes et légendes gaëliques, notamment celles concernant l’épopée des Ulates et de ses héros. John TOLAND est un élève brillant et va poursuivre ses études en Ecosse à Edimbourg et Glasgow. Confronté à l’influence universitaire britannique de l’époque, il s’éloigne alors de la tradition irlandaise, qu’il juge trop marquée par la superstition et se forme à la théologie en poursuivant ses études à l’Université de Leyde, en Hollande Méridionale, que Guillaume d’ORANGE avait créée un peu plus d’un siècle plus tôt. C’est dans ce haut lieu de la Science moderne et de la philosophie, que visitèrent avant lui SAUMAISE et DESCARTES, que John TOLAND participe activement aux travaux des cercles d’études fondés quelques années plus tôt par SPINOZA. Les conceptions philosophiques, métaphysiques et politiques de ce dernier, promoteur du monisme rationnel, de l’immanence de Dieu à la Nature et des concepts de Nature naturante et Nature naturée, marqueront d’ailleurs fortement, tout comme celles d’AVERROES, la pensée de John TOLAND même si elles ne l’empêchent pas de critiquer le Cartésianisme et la vision statique de la substance de SPINOZA (lettres à Serena, 1704).

Baruch SPINOZA


En 1694, il revient à Oxford où il se convertit au protestantisme. C’est dans cette ville qu’il croise la route de John AUBREY, l’un des premiers membres de la Royal Society of London for the improvement of natural knowledge , résurgence de l’Invisible College. Originaire des marches galloises, John AUBREY est l’un des tous premiers archéologues se voulant scientifiques, son œuvre principale a consisté à rattacher l’antiquité des îles Britanniques à la civilisation celtique. Notons qu’à cette époque, John AUBREY est un des rares à se dire druide et prétend tenir cette filiation d’un collège du nom de Mount Haemus, (c-a-d les Balkans, monts sur lesquels se trouverait un oracle de DIONYSOS), collège supposé avoir été fondé en 1245.



En relation avec la Royal Society, John TOLAND fréquentera de nombreux érudits dont les frères GALE et Pierre DESMAISEAUX. TOLAND déménage ensuite à Londres où il fréquente les milieux philosophiques en tant que polémiste et côtoie les Antiquarians. De 1700 à 1707, il développera ses idées panthéïstes (mot dont il est l’inventeur en 1705) et républicaines. Obligé de fuir Londres en 1707, il séjourne sur le continent, où il s’affronte à LEIBNIZ, avant de rentrer en 1710 pour militer en faveur d’une liberté de religion qui seule peut, selon lui, amener la paix sociale. Il professe notamment que la voie panthéiste par sa tolérance doit s'imposer aux Églises constituées, ce que l’on retrouvera en partie dans l’article 1er des Constitutions d’ANDERSON de 1723. C’est à cette période que la légende veut que se mettent en place presque simultanément la Grande Loge de Londres le 24 juin 1717, à la taverne de l’oie et du Gril, la Society of Antiquaries - interdite depuis Charles Ier - en juillet 1717 à la taverne de la Mitre, le Druid Order le 21 septembre 1717, à la taverne du Pommier, siège d’une des 4 loges fondatrices de la Grande Loge. Supposé être le fondateur (et premier Grand Druide) du Druid Order en compagnie de STUCKELEY et DESMAISEAUX, même si ce point fait débat, il ne fait aucun doute que John TOLAND participa à certaines de ces démarches. 

 


William STUCKELEY



Champion de la Vérité, défenseur de la Liberté

 

John TOLAND est souvent présenté comme l’un des premiers libres-penseurs. La connotation politico-philosophique actuelle de ce courant, plus particulièrement en Bretagne (où il s’oppose jusqu’à l’apprentissage de notre langue !) et en France, pourrait desservir le souvenir et la bonne compréhension de ce penseur génial, vif et universel qu’était John TOLAND. Plutôt que « Libre Penseur » TOLAND était un Penseur libre, épris de rationalité (et non pas de rationalisme), de tolérance, de fraternité, amoureux de la philosophie et farouche ennemi du despotisme et de l’arbitraire. Champion de la Vérité, il placera la recherche du vrai au dessus de toutes autres priorités et s’attachera toute sa vie à remplacer la superstition et la croyance non fondée par une assise systématique de la pensée et de la connaissance sur la raison et la science. Défenseur de la Liberté, il abandonnera le catholicisme pour le protestantisme avant de promouvoir le panthéisme. A travers ses sympathies pour le parti Whig (plutôt anti Jacobite) et son attachement à la cause républicaine, il se place résolument du côté de ceux qui placeront le fait national au dessus de la volonté royale de droit divin ; l’origine irlandaise explique peut-être cela, même s’il répondait à qui voulait connaître sa patrie d’origine : « Le soleil est mon père, la Terre est ma mère, le Monde est mon frère et tous les hommes sont mes parents ». On notera d’ailleurs que de tels propos sont proches de ceux du discours de RAMSEY de 1736. Tout ceci le conduira logiquement (vu a posteriori) à défendre une démarche religieuse individuelle ou collective libérée du carcan sectaire et superstitieux engendré par les dogmes et les églises. En 1697, sous la recommandation de LOCKE, philosophe du libéralisme et de l’empirisme, il retourne à Dublin chez Thomas MOLYNEUX, médecin et membre de la Royal Society et député Irlandais accusé par certains de connivences avec les nationalistes. 

 

Une métaphysique à la fois matérialiste et théiste

 

Son oeuvre majeure, Le Pantheisticon, sans doute tiré à seulement 50 exemplaires à Londres, en 1720, fut distribuée, de la main à la main, par TOLAND à ses amis et correspondants. 

 

C’est sans doute l’ouvrage le plus "engagé" de Toland, mettant en scène banquet philosohique à la façon des Anciens. Il y développe ses idées scientifiques, morales, politiques et religieuses. 

 

Toland définit le panthéisme comme un système ou aucune divinité n’est distincte de la matière. Le Dieu unique et suprême est la nature elle-même, c'est-à-dire la totalité des choses

 

Toland y identifie Dieu à l’Univers : " Le pouvoir et l’énergie du TOUT qui a tout créé et qui gouverne tout… est Dieu, que vous pouvez appeler l’Esprit et l’Ame de l’Univers. C’est pourquoi les Associés Socratiques ont été appelés panthéistes, parce que, selon eux, cette âme ne peut être séparé de l’Univers lui-même." Ou encore :"Toutes choses dans le monde sont Un et Un est en toute chose… Ce qui est tout dans toute chose est Dieu, et Dieu est éternel, n’a pas été créé et ne mourra jamais." Il complète cette vision en soulignant que la matière est animée par un « feu éthéré » et que « les anciens philosophes divisaient la nature en deux dont l’une était efficiente et l’autre comme se prêtant à elle pour être faite quelque chose. Ils pensaient que dans celle qui était efficiente il y avait une force, et dans celle qui était faite une certaine matière ; l’une et l’autre étant toujours cependant dans chacune des deux, car ils disent que la matière seule n’aurait pas pu se joindre si elle n’était contenue par aucune force, et qu’il ne peut y avoir de force sans matière, n’y ayant rien qui ne doive être en quelque lieu ». 

 

Chacun d’entre nous pourra à loisir et à tête reposée comparer ce crédo panthéiste de TOLAND à certains aspects des triades de Iolo MORGANWG, notamment celles qui suivent : 

 

1)      Trois unités primitives il y a  et il ne peut y en avoir qu’une de chacune : un Dieu, une Vérité et un point de liberté, et c’est là que s’équilibrent toutes les oppositions »

10)Trois suprématies caractéristiques du Divin :

Vie universelle, science universelle, pouvoir universel.

 

30) Trois différences nécessaires entre l'homme ou tout autre vivant et Dieu :

Limite pour l'homme, aucune pour Dieu ; commencement à l'homme, aucun à Dieu; nécessité pour l'homme, de renouvellement successif d'état, dans le Cercle de Gwenved, du fait qu'il ne peut supporter le Keugant, et non pour Dieu, qui peut tout supporter et cela avec félicité

 

38)  Trois choses que ne peut nul que Dieu :

Supporter l'éternité de Keugant, participer à tout état sans se renouveler, améliorer et renouveler toute chose sans en rien s'amoindrir.

 

46)Trois nécessités de Dieu :

limitable quant au limité, au-delà de toute mesure quant à soi-même, et en communion avec les vivants de tout état dans le Cercle de Gwenved. 

 

Cet univers, caractérisé par une infinité de corps, espèces, êtres vivants, parmi lesquels il englobe tout naturellement les minéraux, il le voit organisé par « l’Harmonie du tout infini » et, tel le cercle d’ABRED, régit par la « Nécessité, parce que rien ne peut arriver autrement qu’elle l’a ordonné, comme étant une continuation déterminée et immuable de l’Ordre Eternel ». Voilà notre Dedma qui tel la taupe qui feuge sourd de ces propos généraux ; « ainsi tout est régit avec une prudence infinie et un ordre parfait dans l’Univers » dit-il encore.

 

Il apparaît donc une nette parenté entre la pensée métaphysique de TOLAND et celle contenu dans les écrits de Iolo MORGANWG. Que ce soit du à une approche « Spinoziste » commune (liée notamment au partage d’une certaine vision de la tolérance religieuse entre anticléricaux panthéistes et unitariens), à un dialogue avec les mêmes cercles érudits et francs-maçons de Londres, à une influence confuse de la pensée métaphysique de ce XVIII ème siècle (débutant pour TOLAND, finissant pour MORGANWG) ou à une tradition antique identique, peut importe en fait pour notre propos, il y a bien une unité de pensée reliant les deux grands courants néo-druidiques. 

 

Le scénariste des fraternités discrètes

 

Non seulement TOLAND développait des idées religieuses et politiques pour le moins peu en accord avec celles des puissants de l’époque, mais, en bon révolutionnaire (ou transmetteur d’une filiation persécutée), il a théorisé la séparation entre exo- et ésotérisme dans son « Clidophorus» (1720) où il évoque la première « manifeste et publique accommodée aux préjugés populaires et à la religion établie par la loi, l’autre privée et secrète, par laquelle était enseignée sans déguisement la réelle vérité au petit nombre de ceux qui pouvaient l’entendre et étaient capables de discrétion. » Selon TOLAND, Il est nécessaire pour le philosophe de traduire la philosophie ésotérique en langage exotérique : d'une part, pour se protéger, dans la mesure où la véritable philosophie contient un enseignement matérialiste incompatible avec les préjugés et les religions établies ; et, d'autre part, de donner à deviner une vérité légèrement voilée pour que s'éveille la curiosité des disciples potentiels. TOLAND juge que les fables des Anciens ne font qu'encourager la superstition ; en revanche les métaphores spinozistes fournissent le modèle d'une philosophie exotérique qui traduise sans la trahir la philosophie ésotérique.

 

On le sait, TOLAND avait des relations suivis avec tous ceux qui compteront dans le grand mouvement de développement de la franc-maçonnerie spéculative. Fut-il lui-même franc-maçon ? Peut être, si la question a vraiment un sens ; mais sans doute vaut-il mieux énoncer le fait que, dans ce milieu effervescent où se côtoyait tout ce que l’Europe possédait d’esprits curieux, modernes et érudits, évoluaient dans une saine émulation ceux qui constituaient, avec parfois une certaine interpénétration, les deux courants maçon et druidique. Pour étancher sa soif de savoir, à l’époque, les sources étaient peu nombreuses. 

 

Constatons ensemble que TOLAND, Irlandais ayant fait ses études en Ecosse (haut lieu de la maçonnerie opérative), ami d’un Gallois se disant druide et de futurs francs-maçons spéculatifs, protégé par un député Irlandais chez qui on trouvera un catéchisme franc-maçon décrivant les signes de reconnaissance des trois grades datant au moins de 1711, a, dans son œuvre majeure qu’est le Pantheisticon, décrit le déroulement d’une « Assemblée Socratique » qui n’a rien à envier à nos assemblées druidiques ni aux tenues maçonniques. L’ouvrage commence par « une dissertation sur les sociétés savantes, anciennes et modernes » où on trouve un certain nombre de caractéristiques selon lui importantes :

 

 «… de même dans ces sortes de repas les convives (qui pour l’ordinaire n’étaient pas en plus grand nombre que les Muses (9), ni en moindre que les Grâces (3), mais dont le plus parfait était celui des planètes (7) choisissaient entre eux un Président… » (chapitre II) 

 

 « Là, enfin, après avoir renvoyé les valets, comme gens ignorants et profanes, et les portes fermées à la manière des anciens, on raisonne sur différents sujets … On disserte sur des choses sérieuses et graves sans dispute, et de choses plaisantes et agréables sans légèreté » (chapitre XVI) 

 

 «Ils ont aussi, chose que nous avons trouvée mémorable et digne d’être sue, une Formule (=rite bien sûr, mais aussi rita = ordre éternel de l’Univers) pour célébrer la Société Socratique…  ils font des commentaires sur la Loi de la Nature, cette loi vraie et qui ne peut jamais se tromper, c'est-à-dire la Raison… par laquelle ils chassent toutes les ténèbres, ils effacent les soins inutiles, ils rejettent les révélations simulées » (chapitre XVII) 

 

De la même manière, la fameuse « formule » commence par le « triple vœu des sages … à la Vérité, à la Liberté, à la Santé», suivi d’un péremptoire « Nommons nous entre Egaux et Frères ». C’est par cette première partie de la formule, qui contient les « mœurs et maximes des Associés », que TOLAND, ayant constitué son cercle, passe du monde profane au monde sacré. La seconde partie, qui contient « la religion et la philosophie de la Société » commence d’ailleurs par « Eloignez les profanes vulgaires ». Là débute réellement les travaux de l’assemblée, sous les auspices de la divinité à travers le credo panthéiste ( « dans le Monde, toutes choses sont en Un et cet Un est dans toutes choses »), puis de la Sagesse et enfin avec une invocation aux sages antiques, hommes et femmes. Il est probable que c’est après cette invocation que s’engageaient les discussions philosophiques proprement dites. Vient ensuite une troisième partie évoquant la « loi qui ne trompe point et qui ne peut être trompée », savoir la « Droite Raison », avant que de rappeler l’issue ultime que constitue la mort, que le sage ne doit pas craindre. C’est par cette partie que s’effectue le retour au monde profane.

 

Il apparait donc clairement que les écrits de TOLAND contiennent, dès 1720, soit 2 ans avant sa mort, la trame que suivront ensuite les réunions maçonniques. Nul doute qu’il en fût la principale inspiration. De la même manière, sans porter en son cœur la celtomanie naissante qu’il exècre, il est réputé (très certainement à tort, aucune trace de cette démarche dans son abondante correspondance) avoir fondé le Druid Order dont il serait le premier grand druide. Ceci ne l’empêchera pas d’écrire : "Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage sur la façon dont les panthéistes s'ornent l'esprit. Les panthéistes peuvent être justement regardés comme prophètes et d'une nature mystique. Car de même qu'autrefois les druides qui avaient l'esprit plus élevé, étaient liés par des sociétés (suivant en cela les règles de Pythagore), se sont élevés par l'étude des choses les plus cachées et les plus obscures, de même les associés socratiques s'appliquent à toutes les recherches où se sont illustrés les druides et les disciples de Pythagore. Les uns et les autres ont établi des sociétés. Les nôtres n'admettent pas cependant tout ce qu'ont dit et fait les premiers, car lorsqu'ils s'éloignent de la vérité, nous nous éloignons aussi d'eux, mais nous louons beaucoup ce qui nous en paraît digne, rendant grâce à ceux par le moyen desquels nous profitons en quelque chose, de quelque manière que ce soit." Pour autant, ses œuvres posthumes contiennent un essai sur la religion celtique et une histoire des druides principalement basée sur des considérations linguistiques et historiques. Sans doute l’inclinaison de TOLAND vers le druidisme fut-elle liée à des raisons politiques (la franc-maçonnerie étant alors très légaliste) et à sa volonté d’asseoir son militantisme panthéiste sur une tradition de grande antiquité assumable, ce que n’offrait pas la maçonnerie qui s’enlisera dans le symbolisme biblique. John TOLAND, avec AUBREY, apparait donc comme le grand-père commun aux deux courants de pensée occidentaux que sont la franc-maçonnerie et le néo-druidisme. S’il n’est pas le rénovateur historique de l’institution druidique, il en constitue en tout cas l’initiateur mythique.

 

Cette étude n’aurait pu voir le jour sans le travail remarquable de feu Régis BLANCHET.


BIBLIOGRAPHIE :

 

1696 : Christianity not mysterious.

1698 : Vie de Milton , suivie de sa défense,

1700 : Clito 

1701 : Anglia liberia.

1704 : Lettres à Serena traduites en français sous le titre Lettres philosophiques en 1768.

1705 : Le socinianisme tel qu'il est. 

1718 : Nazarenus, ou le christianisme judaïque, païen et mahométan.

1720 : Pantheisticon.

1720 : Clidophorus ou de la philosophie ésotérique et exotérique 

1726 : Œuvres posthumes dont A specimen of the critical history of the celtic religion and learning et History of the Druids (https://archive.org/details/neweditionoftola00tola/page/34/mode/2up)


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