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EFFONDREMENT ET OPTIMISME DRUIDIQUE

Dernière mise à jour : 24 janv. 2024

Ce texte résulte de la fusion de deux textes parus initialement dans la revue IALON de la Kredenn Geltiek Hollvedel :


« Je verrai un monde qui ne me plaira pas :

été sans fleurs,

vaches sans lait,

femmes sans pudeur,

hommes sans courage,

capture sans roi,

arbres sans fruits,

mer sans frai,

mauvais avis des vieillards,

mauvais jugement des juges,

chaque homme sera un traitre,

chaque garçon un voleur,

le fils ira dans le lit du père,

le père ira dans le lit du fils,

chacun sera le beau-père de son frère.

Un mauvais temps:

le fils trahira son père,

la fille trahira sa mère »


Si l’on dépasse le lyrisme de ce texte, on peut y déceler un certain nombre d’avertissements sur la conduite à tenir pour un Celte libre et de bonnes mœurs. Cette prophétie de la Morrigan décrivant la fin du Monde énumère, entre autres, un certain nombre de transgressions de la Loi du Bon Ordre de l’Univers, le Dedma : dysfonctionnement de l’essence même de la troisième fonction productive (été sans fleurs, vache sans lait, arbres sans fruits, mer sans frai), manquement à l’éthique royale et guerrière de la deuxième fonction (hommes sans courage, capture sans roi, chaque homme sera un traitre), incapacité à assurer ce qu’on attend de la première fonction (mauvais avis des vieillards, mauvais jugement des juges).


Dans la tradition celtique, qu’elle soit issue du Lebor Gabala Eren, des quatre branches du Mabinogi ou de la légende arthurienne, c’est cette accumulation de transgressions qui conduira à la disharmonie, les rigueurs climatiques, la maladie, le manque d’abondance et la famine, la désolation et, finalement, la perte de Souveraineté.

Nous faisons malheureusement face depuis quelques années à une recrudescence de calamités agricoles (gel, sécheresse, inondations), de catastrophes naturelles toujours plus prégnantes, de l’émergence et le déferlement de pandémies dont la COVID 19 n’est qu’un exemple parmi d’autres.


Bien sûr, nombre de ces désastres est en lien avec le changement climatique, mais celui-ci n’est que l’instrument de la disharmonie générale. Les causes premières il faut aller les chercher dans nos comportements individuels et collectifs et notre entêtement à suivre les voies sans issue, les routes sans lendemain.


Si nous observons bien notre monde contemporain, que voyons-nous ? Une « civilisation » décatie, pour ne pas dire décadente, glorifiant le moment présent et le temps linéaire, idéalisant un pseudo « âge d’or » plutôt que de sacraliser son origine mythique et rejetant sur les générations futures, pour peu qu’elles puissent prospérer, la responsabilité de ses décisions court-termistes insensées. Après la seconde guerre mondiale, sous prétexte de nourrir l’ensemble de la population mondiale, nos paysans sont devenus lentement, mais sûrement, des entrepreneurs enchâssés dans la filière agro-alimentaire. Enchâssés pour ne pas dire emprisonnés ou enchaînés… C’était bien sûr de bonne foi, et il fallut taire les oiseaux de mauvais augure au nom du progrès à venir, de la croissance obligée et d’un libéralisme débridé supposé offrir au monde entier les bienfaits espérés de la démocratie. Entraînés dans cette fuite en avant, nos concitoyens sont ainsi devenus complices, souvent malgré eux, de la destruction systématique de nos écosystèmes, qu’ils soient directement agricoles ou plus largement naturels. Destruction non seulement dans les faits, mais aussi dans nos mentalités, à tel point que la friche reconquise par la nature est dite « ensauvagée » ! D’ores et déjà les fruits gèlent au printemps, ne mûrissent plus l’été, pourrissent à l’automne, les cycles végétatifs sont perturbés, les cerisiers fleurissent en octobre, les vaches meurent d’une maladie proche du COVID, les ressources halieutiques s’amenuisent… Cette magnifique civilisation génère de plus en plus de pauvres que l’on maintient en survie à coup de subsides malingres et infâmants, elle jette sur les voies de l’exode des populations déracinées qui viendront ensuite, malgré elles, déstabiliser nos sociétés. Que nous l’ayons choisi ou pas, que nous le voulions ou non, tout ceci constitue, par essence, une faute envers la 3ème fonction, annonçant la fin de l’abondance et les famines à venir. Et par la dureté de cœur (Anhrugaredd), notre Humanité retombera en Abred jusqu’en Cydfil, la co-animalité.


Ces bouleversements, et les déplacements de populations qui s’en suivront, créeront bien sûrs encore plus d’injustice, d’affrontements, de conflits et de fureur. Non pas la fureur guerrière d’un Cuchulainn défendant les Ulates, non pas celle du héros affrontant en combat singulier son alter égo de l’ost opposée, non pas le sacrifice suprême de nos frères irlandais enfermés dans la Grande Poste de Dublin. Non, mais cette fureur implacable et aveugle qui conduit à massacrer innocents, femmes, enfants ou vieillards, que ce soit en Vendée et Bretagne sous la Révolution française, en Arménie au début du XXème siècle, dans les camps pendant la 2nde guerre mondiale, en Ukraine, Russie ou Palestine de nos jours. Ce même manque de courage et de noblesse qui amène les « casqués à matraque[i]» des faux rois à violenter le Peuple qu’ils sont sensés défendre et protéger. Manque de courage, inversion des valeurs guerrières et politiques, usage immodéré et incontrôlé de la violence, autant de manquement à l’éthique guerrière et faute envers les idéaux de la 2ème fonction. Et par orgueil et vanité (Balchder), elle retombera en Abred jusqu’en Annwn.


Face à ces manquements, on pourrait espérer trouver refuge dans l’évolution spirituelle individuelle comme collective. Encore faut-il, pour exercer sa liberté de choix, et donc avoir de bon avis et donner de bons jugements, disposer d’un savoir fiable et reflet de la réalité. Las ! Nous vivons dans un monde d’illusions et de virtualité mouvante où les dirigeants mentent sans cesse et sciemment, où des états s’impliquent dans des guerres psychologiques et des manipulations des opinions publiques, où les réseaux sociaux et les organes de presse et d’information, plutôt que d’être des instruments de savoir et d’éducation, érigent, comme dans 1984 de G. Orwell, le mensonge et le « fake » (news) en phares civilisationnels. Et les religions, qui devraient relier les hommes entre eux et à la divinité, se transforment en chargeurs de Kalachnikov. A ne plus reconnaître la réalité, l’Humanité ne peut plus trouver la voie du sacré, à vénérer une face de bouc, on occulte l’Harmonie du Monde et on oublie Dieu, les Dieux et les non-Dieux. Voilà donc une faute envers la 1ère fonction et par le mensonge (Anwiredd) on tombera en Abred jusqu’en Obryn, le monde inférieur.


Dans le Barddas, en Abred, le cercle de la délivrance menant au Gwynfyd, le seul outil que possède l’être vivant pour surmonter la transgression de la Loi et l’attachement au Mal, et éviter les souffrances qui en découlent, c’est la Mort. Notre civilisation est-elle capable de retrouver le chemin de l’Harmonie, du Dedma et du Gwynfyd, ou devra-t-elle mourir pour renaître autrement ?


Il va de soi que les caractéristiques données par la Morrigan au « monde qui ne lui plaira pas » sont trop générales pour décrire de manière précise et reconnaissable une époque donnée. L’appréciation morale contenue dans ces vers aurait pu tout aussi bien s’appliquer à la période correspondant à l’hiver volcanique qui suivit l’explosion du Krakatoa en 535 et qui coïncidât avec une période de guerre civile et d’extension de la domination angle et saxonne en Bretagne. Par contre, L’essentiel de notre propos est dans sa mise en relief des conséquences du non-respect du Dedma, car effectivement, ce non-respect conduit inéluctablement au déséquilibre, à la perte de prospérité, à la déchéance et entraine le clan vers l’anéantissement et l’oubli éternel. Il est clair que toute persévérance dans l’illusion, qu’a trop souvent l’être humain, qu’il n’y a pas de conséquence à ses actes ne peut conduire qu’à des catastrophes et des drames : le courroux des Dieux sera alors perceptible et évident. Cependant, il serait faux et maladroit de se conforter dans un attentisme noir et un défaitisme de plomb face à cette prophétie… quoi ? Le destin implacable promis par la Morrigan ne pourrait être modifié ? Le libre arbitre de l’Homme ne pourrait s’exercer ? C’est oublier que le « pezh a zo dleet a vezo » (ce qui doit être sera) d’une autre prophétie, celle de Gwenc’hlan celle là, est tempéré par le « ison son bissiet » (qu’il en soit ainsi) des anciens. En d’autres termes, s’il est clair que par des actions dirigées à l’encontre de l’Harmonie et de la Loi du Bon Ordre Universel l’être humain est à même de précipiter la venue de catastrophes et dérèglements, tant physiques que moraux, pour la même raison il peut rétablir l’équilibre par l’action constante, persévérante et obstinée, collective et/ou individuelle dans la direction contraire. Par ses actions, l’être vivant, l’être sensible, est à même d’exercer son libre arbitre et donc de choisir entre un destin funeste et une dynamique vertueuse. C’est bien ce qu’expriment les triades de Iolo Morganwg quand elles disent :


17. Trois causes de la nécessité d'Abred: rassembler les éléments de toute qualité d'être, rassembler la connaissance de toute chose, rassembler la force pour vaincre toute hostilité et le principe de destruction et se dépouiller du mal. Sans cela qui traversera chaque état de vie, qu'il soit individu vivant ou espèce, ne pourra atteindre la plénitude.

22. Trois contemporains primitifs: l'homme, le libre arbitre, la Lumière.

24. Trois alternatives également offertes à l'homme: Abred et Gwynfyd, nécessité et libre arbitre, mal et bien; et le tout en équilibre et possibilité pour l'homme de fixer son choix du côté qu'il voudra.


Gardons donc cela en mémoire et soyons les infatigables promoteurs d’un Optimisme Druidique, certes réaliste, mais surtout inlassable. Aussi dramatiques soient les conséquences de nos actes, l’équilibre peut être rétabli, pour peu que l’on ouvre son cœur et sa raison aux messages des Dieux. A ce titre, les vaticinations de la Morrigan, plus qu’une réelle prophétie, constituent un rappel des deux voies possibles et de leurs conséquences virtuelles ou réelles.


[i] Glenmor in Princes entendez bien

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